Les formes de discours : le discours narratif
Un combat sans merci

Tapi au fond de son repaire, Fafnir observait la lande en silence ; son instinct de dragon l'avait averti de la présence d'un danger imminent. Effectivement, un cavalier monté sur un fougueux cheval gris apparut peu après sur le sentier qui le menait à la caverne. Il paraissait jeune mais sur de lui et tenait à la main une épée étincelante ; une curieuse épée, telle que Fafnir n'en avait jamais vu…

A coté du cavalier marchait un vieux nain roux : " Cette vieille connaissance de Regin… Je le tiens enfin ! " grogna Fafnir quand il le reconnut (1).

Le dragon s'ennuyait au fond de sa caverne. A son goût, trop peu de gens osaient s'aventurer sur ses terres " Enfin un beau combat en perspective ! Autant faire durer le plaisir… " marmonna-t'il, l'œil animé d'une lueur cruelle (2).

Il étira sa longue carcasse, puis de sa langue fourchue, lissa sa peau flasque. Une peau qui, lui donnant une apparence trompeuse de lourdeur, avait coûté la vie à tous ses adversaires. Simulant l'indifférence, Fafnir laissa approcher ses ennemis jusqu'à ce que le cavalier, descendu de sa monture, fut en mesure de lui assener de violents coups d'épée (3) ; ces coups glissaient sur ses écailles sans lui faire bien mal, mais l'un d'eux, porté à la jointure de l'épaule, provoqua une désagréable douleur. Alors, saisi d'une effroyable colère, Fafnir prit son souffle, gonfla sa poitrine au maximum et… cracha un infernal torrent de flammes ! Engloutis par le brasier, le nain et le cheval furent tués sur le coup, sans avoir pu esquisser la moindre défense. Seul Siegfried, plus prompt, avait pu reculer à temps (4).

Siegfried ressentit la terrible morsure du feu sur ses bras et son visage ; mais il oubliait sa propre souffrance, car, malgré les flammes et la fumée, il avait vu disparaître ses deux compagnons. Une formidable colère l'envahit ; il ne pensait plus à la mort mais seulement à venger ses compagnons. Sa résolution était inébranlable, à la hauteur de sa peine : il ne reculerait pas devant le prochain assaut ! Il vaincrait ou périrait à son tour…

Fafnir s'approcha lentement. Parvenu à faible distance, il décida d'en finir : il prit une nouvelle fois son souffle… Des flammes pointaient déjà hors de sa gueule, quand Siegfried concentra toute sa volonté pour invoquer l'aide des Dieux dans cet affrontement final. Alors, de Nothung jaillit un éclair aveuglant, une lumière intense, insupportable, destructrice qui frappa le monstre de plein fouet avant même qu'il ait pu esquisser le moindre geste de recul ! Foudroyé et aveuglé, Fafnir chancela, lanca plusieurs coups de pattes dans le vide. En vain. Siegfried, plus vif que lui, frappa le premier. Fafnir s'effondra. Pour ne plus jamais se relever… (5)


Gilles Ragache, « Fafnir, gardien de l’anneau magique », in Les Dragons, mythes et légendes, ©Hachette livre, 2005.


(1) : Normal, puisqu'il ne s'agit ni plus ni moins que de son propre frère...
(2) : A priori, Fafnir n'a rien d'un tel sadique... D'après la Volsunga Saga, et du temps où il était encore humain, Fafnir a refusé de tuer son père. Des deux frères, il est le plus calme et le plus sage... Accusant son frère de parricide, il refuse de partager l'or avec ce dernier et transporte son trésor sur les hauts plateaux de la Gnitaheid, puis se change en dragon, afin que personne ne vienne toucher à son "butin"...
(3) : Non... En suivant des traces toutes fraîches le long d'une rivière, Siegy et Regin parviennent à découvrir la tanière du monstre. Le forgeron suggère alors à son protégé de creuser une grande fosse sur le chemin qu'emprunte Fafnir, puis de s'y tapir, afin de transpercer le ventre mou du dragon une fois qu'il se mettrait à ramper au-dessus de lui. Mais un vieil homme, sorti de nulle part, suggère à Sigurd de creuser une rangée de trous séparés et de se tenir dans l'un, en faisant en sorte que le sang qui jaillirait de la plaie coule dans les autres. Siegy suivit cette recommandation et pu ainsi porter un seul coup mortel au dragon, sans être pour autant être blessé par son "sang empoisonné"... [Bizarrement, la Volsunga décrit le sang de Fafnir comme "dangereux"...Pour ma part, je pense que si Odin apprend à Siegfried que le sang de Fafnir est empoisonné, c'est pour éviter que le jeune fils de Sigmund ne devienne invulnérable...]
(4) : Normalement, Fafnir n'a même pas le temps de cracher une seule flamme. Grani ne meurt pas dans cette bataille et Regin, lui est décapité par Siegy, qui, une fois éveillé au langage des oiseaux, apprend du bec de ces derniers que Regin désire l'assassiner...
(5) : Avant de mourir, Fafnir confie à Siegfried que ce trésor (et notamment l'anneau...) causera sa perte.